Du 27 au 31 janvier 2014, la Fondation Un Cœur a mené une mission au Cambodge en collaboration avec l’association vétérinaire Yaboumba. Cette mission, baptisée « Double Cœur », double car à la fois humanitaire et scientifique, a été réalisée par une équipe internationale de 10 vétérinaires passionnés, partis dans ce pays dont l’héritage majestueux des Rois Angkoriens ne saurait oublier sa tragique récente histoire …
Un grand merci aux sponsors : l’entreprise « Alsace Biscuits » et le laboratoire Vetoquinol pour le don de gâteaux et de matériels distribués aux orphelins de Kien Khleang (Association Elephant Blanc) ainsi qu’à la société General Electric (M. E. Demaret) pour le prêt de l’échocardiographe V-Scan (de la taille d’un smartphone, donc très pratique en raison des conditions de terrain difficiles : ici la jungle !).
Vétérinaires de cœur pour une Fondation du Cœur, la première étape de nos aventuriers était de donner – pendant un temps – des sourires, encore plus de sourires à des enfants orphelins. Dans un orphelinat situé sur la rive du Tonlé Sap (à la sortie de Phnom Pehn) et géré par l’Association Éléphant Blanc, ils ont apporté cadeaux, et surprises à une centaine d’enfants. Ils ont vécu une soirée avec eux, dansé, joué, câliné, aimé ces enfants qui les ont accueillis avec des regards reconnaissants. C’était fort, très fort et l’on se demande encore qui était reconnaissant envers qui…
Au delà de toute entreprise vétérinaire, cette étape était importante, humaine, où l’on se rend compte qu’on ne peut se couper de ce qui est essentiel…. le Cœur !
Etape 2 : Eléphants (réserve naturelle de l’ELEPHANT VALLEY PROJECT).
L’équipe vétérinaire est ensuite partie pour le Mondolkiri (province du Nord-est du Cambodge, près de la frontière vietnamienne) afin de réaliser une étude portant sur les éléphants d’une réserve naturelle gérée par l’ELEPHANT VALLEY PROJECT (EVP) de l’ONG « Elephant Livelihood Initiative Environment ” (E.L.I.E). Le Mondolkiri abrite, en effet, la majorité des éléphants du pays, mais ces derniers, utilisés pour le travail par les Bunongs (minorité éthnique locale) sont en voie de disparition (il en resterait seulement environ 300).Le magnifique projet EVP, qu’il convient de saluer et d’encourager, a pour but de permettre à des éléphants ayant beaucoup travaillé, voire qui sont blessés ou maltraités, de se reposer dans la forêt et d’y être traités. Les éléphants sont rachetés par l’EVP et leurs propriétaires sont dédommagés pour la perte de revenus liée au fait que l’éléphant ne travaille plus.
Ce projet a abordé deux aspects médicaux de la conservation des éléphants, la tuberculose et la cardiologie dans cette région clé d’Asie pour la sauvegarde de l’espèce.
Les objectifs de ce projet furent ainsi :
– d’étudier la prévalence de la tuberculose, maladie infectieuse majeure chez des éléphants dans leur milieu naturel
– développer une base de données sur les paramètres cardiologiques chez l’éléphant en milieu naturel, ce qui n’avait encore jamais été réalisé (les maladies cardiaques étant très répandues chez ces animaux, mais très rarement diagnostiquées de leur vivant).
Jack Highwood, le responsable de l’ELEPHANT VALLEY PROJECT, s’est chargé de regrouper les éléphants et d’assurer la sécurité des vétérinaires lors des manipulations.
Des examens cliniques, morphométriques, thermographiques ont ainsi pu être réalisés ainsi que des bilans sanguins. A la plus grande joie du personnel de l’EVP et des vétérinaires de l’équipe, des bilans cardiovasculaires inédits ont aussi été effectués, du matériel « high tech » ayant été dépêché sur place depuis la France ….les résultats feront l’objet de publications et communications scientifiques dont les amis de la Fondation Un Cœur et de l’Association Yaboumba seront tenus au courant !
Cette mission vétérinaire cambodgienne « Double Cœur » est l’illustration même du pourquoi de l’existence de la Fondation Un Cœur : faire reculer les limites de la médecine vétérinaire et la cardiologie animale tout en aidant l’Homme !
Projet média associé
Tout au long du voyage, un caméraman a suivi l’équipe vétérinaire et a pu immortaliser tous ces moments magiques. Le Pr. Valérie Chetboul et le Dr. Norin Chai ont été interviewés sur la Fondation Un Cœur, sur leurs motivations, sur leurs valeurs…. Avant même de pouvoir visionner ces séquences que nous attendons avec impatience, les dires de ces deux vétérinaires passionnés peuvent se résumer en un mot : Cœur….
Un massacre qui a commencé il y a 10000 ans…
Nous assistons impuissants à de réguliers massacres de populations entières d’éléphants… Les assauts de la population humaine, non seulement restreignent de plus en plus leur habitat, mais les tuent sans distinction de sexe ou d’âge. Nous aurions tendance à penser qu’il s’agit d’un méfait du monde moderne. Il n’en est rien. Au Pleistocene, il y a quelques millions d’années, les ancêtres immédiats des éléphants modernes sont apparus, en même temps que les premiers membres du genre Homo, dont l’espèce humaine moderne est le seul représentant. À la fin de la même ère, il y a 10 000 ans, les mammouths et les mastodontes furent rayés de la planète, peut-être par la main de l’Homme… Même si d’autres arguments impliquant notamment les changements climatiques viennent infirmer partiellement cette hypothèse, une synthèse des dernières découvertes de la biologie de l’évolution, de l’écologie et de la paléontologie tendent à véritablement prouver le rôle décisif de l’Homme, dans la disparition d’un très grand nombre d’espèces animales, dont les mammouths et les mastodontes. Et une simple lecture même rapide de l’histoire récente (re)démontre le rôle destructeur de l’Homme. Il y a quelques milliers d’années à peine, l’Elephas maximus (actuel éléphant d’Asie) dominait les écosystèmes d’une grande partie de l’Afrique, pénétrant jusqu’en Chine et au Moyen-Orient. Loxodonta (actuel éléphant d’Afrique) occupait toute l’Afrique. Quand on voit aujourd’hui la distribution des espèces, on comprend que l’expansion et l’essor inexorable de l’humanité, combinés à la chasse à l’ivoire leur ont été fatals….
Les hommes ont de tout temps été fascinés par la beauté – et les pouvoirs supposés de l’ivoire. La représentation sculptée préhistorique – la plus ancienne connue – un petit cheval, trouvé à Vogelherd en Allemagne – a été gravée dans de l’ivoire (dans une défense de mammouth), il y a 35000 ans. Nous sommes alors à l’aube de l’histoire de l’art, du moins une forme d’expression que l’on retrouve dans certaines des plus anciennes civilisations du Moyen-Orient, puis en Égypte ancienne, en Crète et en Grèce. Ce sont les Romains qui ont élevé le travail de l’ivoire au rang de grand art. La demande d’ivoire devint énorme, avec sa conséquence immédiate : la population d’éléphants commença à diminuer. Au Ile siècle avant Jésus-Christ, on tua ainsi le dernier éléphant d’Afrique du Nord…
Une extinction annoncée…
Les éléphants sont les plus grands mammifères terrestres. Ils subissent des agressions directes telles que le braconnage pour leur ivoire, la perte de l’habitat, la pollution, le changement climatique… La perte de l’habitat induit par ailleurs un cercle vicieux où la confrontation Eléphants / Hommes (agriculteurs) devient inéluctable et où l’un doit laisser la place à l’autre (même s’il existe des projets de conservation participatifs sensibilisant et prônant la cohabitation).Mais il existe aussi des menaces plus insidieuses et plus profondes. Les plus grandes défenses sont portées par les adultes mâles, qui sont donc les principales cibles des braconniers. En peu de temps, ces éléphants reproducteurs deviennent rares. Sachant que chez les femelles, l’œstrus ne dure que 4-5 jours seulement pendant les 3 ou 4 cycles fertiles par an, la probabilité d’une reproduction réussie s’amoindrit radicalement. Au delà de cette cassure du lien reproducteur, les grands mâles ayant disparu, les braconniers s’en prennent aux femelles adultes. Or, la société des éléphants est matriarcale, les femelles âgées forment le nœud du groupe et sont les dépositaires de l’expérience et de la connaissance du monde. La disparition de ces femelles est tout simplement un facteur de connaissance et de donc de destruction de la société des éléphants. De plus, en tuant les mères, on affame les éléphanteaux qui ont besoin du lait maternel durant de longs mois. Ces jeunes, s’ils survivent, manqueront d’un apprentissage essentiel. Sans modèle éducatif, ils ne sauront ni les comportements reproducteurs, ni utiliser rationnellement leur environnement.
Une rupture des liens de reproduction et une rupture des liens sociaux induiront à moyen terme l’effondrement de la population.
Pourquoi il est important de protéger l’éléphant
Les éléphants font partie des animaux les plus intelligents. Tant en sciences comportementales qu’en neurophysiologie et anatomie, les preuves ne manquent pas pour décrire aussi bien une intelligence pragmatique qu’émotionnelle. Passer ne serait-ce qu’une courte période en leur compagnie suffit à se rendre compte de leur sensibilité, comme individus, et de leur complexité, en tant que groupe. On parle chez eux d’empathie, de compassion, d’altruisme, mais aussi, d’automédication, de jeux, de simulations, d’imitations, d’utilisation outils, d’art, de conscience de soi, de rites funéraires… Parler du massacre des éléphants, c’est simplement parler de «génocide»… Des raisons simplement éthiques et ces raisons seules devraient être suffisantes pour protéger ces êtres hautement sensibles.
On parle du rôle biologique important de l’éléphant, dans la dissémination des graines par exemple. Mais la place de l’éléphant dans un écosystème se situe en réalité bien au delà.
Quand on observe un éléphant en train de démolir un arbre ou de déraciner une jeune plante, il y a de quoi être impressionné par la puissance de destruction de l’animal. Les biologistes portent aujourd’hui un regard différent sur la puissance destructrice de l’éléphant et la voient plutôt comme une force de création. L’idée est aussi simple que profonde. Lorsqu’on est immergé dans une forêt tropicale dense, une question nous vient à l’esprit. Où sont les grands animaux ? Il peut en exister, mais ils sont peu nombreux, du moins représentés par une faible diversité spécifique. La destruction des arbres par l’éléphant dans la savane boisée permet aux buissons de survivre et la destruction des buissons dans une savane buissonneuse crée de l’espace pour la prairie. Les biologistes commencent à comprendre que l’éléphant est un acteur clé du façonnage de la mosaïque d’habitats permettant aux autres espèces de prospérer. On parle d’« espèce clé» ou ici, d’ «herbivore clé». L’écosystème s’effondre et bien d’autres espèces iront aux oubliettes de l’évolution si cet herbivore clé vient à s’éteindre. Le rôle essentiel de l’éléphant a été occulté par le commerce de l’ivoire… alors que c’est un élément vital de l’équation. L’éléphant n’est pas seulement une espèce en danger, ni seulement l’étendard des conservateurs : la survie de bien d’autres espèces qui constituent la diversité de la faune dépend de sa sauvegarde.
Conclusion
L’éléphant n’est pas une simple espèce menacée parmi d’autres. Il représente notre volonté (ou non) de préserver la nature. Si nous sommes incapables de sauver de l’extinction le plus grand des mammifères terrestre, comment pourrons-nous sauver les autres espèces et à moyen – long terme, nous sauver nous mêmes ?
Il y a plusieurs siècles, les Romains n’avaient pas compris le lien entre leur consommation d’ivoire et la raréfaction de l’animal qui le fournissait. Pline écrivait «le principal ennemi naturel de l’éléphant était le dragon»… Aujourd’hui, nous vivons à une époque où nous sommes à la fois acteur et spectateur de l’extinction d’une «espèce clé». Nous savons et réalisons ce que nous faisons, nous en connaissons les conséquences, et malgré cela, l’entreprise de destruction des éléphants continue…