Passionné de faune sauvage, Norin Chai est vétérinaire, diplômé de l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort et du Collège Européen de Médecine Zoologique, plus haut diplôme de spécialisation en médecine vétérinaire dans le domaine de la faune sauvage. Il est notamment connu pour avoir occupé pendant 20 ans et jusqu’en octobre dernier le poste de vétérinaire de la Ménagerie du Jardin des Plantes de Paris, puis celui de directeur adjoint à partir de 2005. Que ce soit dans le cadre de son travail avec le Muséum d’Histoire Naturelle ou avec l’association Yaboumba, dont il est le fondateur et directeur, Norin Chai a participé à de nombreuses études visant à mieux connaître la faune sauvage et les manières de la préserver. Il donne aussi fréquemment des conférences sur le sujet, et est souvent sollicité par des confrères et consœurs pour son expertise dans le domaine de la médecine zoologique.
Vous êtes président de Yaboumba, une organisation non gouvernementale qui travaille sur la conservation de la biodiversité et des projets humanitaires. Elle a souvent travaillé de concert avec la Fondation Un Cœur sur divers projets d’étude de la faune sauvage. Comment ces projets ont-ils vu le jour ?
Les projets se montent car cela nous fait plaisir de nous y investir. Il faut que nos projets nous parlent. Les projets Yaboumba ont donc une visée scientifique mais ils vont aussi au-delà car ils impactent les populations, l’environnement… On fait ce genre de projets avec des personnes avec lesquelles on partage des valeurs scientifiques mais aussi humaines.
Par exemple, on s’est posé la question de la cardiologie des éléphants semi-sauvages au Cambodge. Le projet a vu le jour car j’ai une relation d’amitié avec Valérie Chetboul (vétérinaire cardiologue de l’Unité de Cardiologie d’Alfort et co-fondatrice de la Fondation Un Cœur, ndlr). Ainsi, les projets entre Yaboumba et la Fondation Un Cœur sont plutôt des projets d’amitié qui prennent forme sur la base de vrais questionnements scientifiques.
Pouvez-vous nous expliquer quels sont les différents projets que vous avez-monté ensemble avec Yaboumba et la Fondation Un Cœur ?
Il y a des projets de recherche in situ, sur le terrain, et ex situ, en France. Dans les projets in situ, on a fait un projet au Costa Rica pour étudier la cardiologie des paresseux, un autre pour étudier la cardiologie des éléphants d’Asie au Cambodge… En France, on s’est intéressé à la cardiologie des grands félins en captivité par exemple. Il y a en effet une importante prévalence des maladies valvulaires sur les félidés sauvages en captivité. Ce sont des projets scientifiques sérieux et qui apportent quelque chose au niveau de la cardiologie de la faune sauvage. A chaque fois, on fait une publication dans la presse scientifique, ce qui justifie notre travail scientifique.
On a aussi monté des projets plutôt d’enseignement en créant deux clinicats : un clinicat cardiologie faune sauvage et un clinicat faune sauvage tout court, où la personne va pendant 6 mois tous les jours à la Ménagerie du Jardin des Plantes, comme une sorte d’internat en faune sauvage. La Fondation Un Cœur attribue une bourse au clinicien pendant la période pour l’aider financièrement. Récemment, on a voulu créer un autre clinicat en faune sauvage mais qui ne peut pas encore prendre forme à cause du COVID. J’ai monté un hôpital de faune sauvage à Sumatra et l’idée était de faire tourner l’hôpital avec des vétérinaires locaux et des vétérinaires seniors, et de mettre un interne sur place. Ce projet sera mis en route sur le même principe une fois qu’on pourra de nouveau voyager, avec l’attribution d’une bourse par la Fondation Un Cœur.
En quoi consiste exactement ce projet d’hôpital à Sumatra ?
Ce projet date déjà de plusieurs années et est encadré par Yaboumba. Le gouvernement de Sumatra est semi-autonome et dans la province d’Aceh, c’est un gouvernement propre qui aimerait préserver plusieurs milliers d’hectare de forêt pour empêcher des compagnies (notamment de palmeraies) d’entrer dans la zone. L’idée était donc de créer des projets pour occuper l’espace. J’ai été contacté par une personne qui savait que le gouvernement local voulait monter un projet sur ce terrain-là, et c’est comme ça que j’ai pris contact avec eux et qu’on a voulu monter un hôpital de soin pour la faune sauvage. On récupère les animaux malades et blessés, on les soigne, on les rééduque puis on les relâche.
Comment ça fonctionne ? Yaboumba s’est associé avec le Zoo la Boissière du Doré pour apporter toute l’expertise, les équipements et les fonds et monter les infrastructures. Nous sommes totalement maîtres du fonctionnement du centre. Toutefois, le vrai propriétaire reste le gouvernement et du jour au lendemain, il peut récupérer le terrain. De toute façon, c’est le but de ce projet : une fois que ce centre tournera, il sera pour les locaux, pas pour nous. J’ai mes contacts locaux qui gèrent le centre pendant que je suis en France. A l’heure actuelle, tant qu’on ne peut pas voyager, on ne prend plus d’animaux. Donc depuis mars dernier (2020), il n’y a plus d’animaux au centre.
Dans ce projet, il y a à la fois une dimension préservation et aide auprès de la faune sauvage local mais aussi une visée éducative. On travaille en partenariat avec l’université vétérinaire d’Aceh, pour laquelle on organise des journées de formation.
Le projet a-t-il bien avancé ?
On a monté tout le dur, cela grâce aux fonds apportés par le zoo de la Boissière du Doré qui a pratiquement tout financé. Officiellement ce projet est donc un co-projet avec ce zoo. On a donc construit toutes nos infrastructures : on a fait notre salle de chirurgie, nos volières, certaines cages d’hospitalisations spécialisées et sécurisées (pour recevoir des reptiles, des orang-outangs, des oiseaux…). On a de quoi héberger des vétérinaires sur place. On avait même commencé notre activité de soin et avait déjà relâché en milieu sauvage des animaux pris en charge par le centre. C’est juste que pour le moment, on est bloqué avec la crise du COVID.
Pour finir, avez-vous un moment particulièrement marquant à nous raconter, en lien avec la Fondation Un Cœur ?
Le plus gros projet, le plus émouvant, le plus … tout, c’était le projet que l’on a mené au Cambodge avec la Fondation Un Cœur. Nous sommes allés étudier la cardiologie des éléphants d’Asie. Nous sommes revenus avec assez de matière pour une publication dans le Journal Zoo and Wildlife Medecine. Mais ce projet-là était particulier car il comportait des actions humanitaires, dans un orphelinat au Cambodge. C’était extrêmement fort, en tout.
Merci au docteur Norin CHAI pour cette entrevue !