Fondation Un Coeur

            De nos jours, les vétérinaires sont amenés de plus en plus fréquemment à soigner des reptiles, qu’il s’agisse d’animaux présentés au public (parcs animaliers notamment) ou d’animaux appartenant à des particuliers (appelés terrariophiles). Serpents, tortues, lézards et dans une bien moindre mesure, crocodiles, font, en effet, partie des nouveaux animaux de compagnie (NAC). On en compte aujourd’hui plus de 2 millions dans les foyers français (source : statista). Que sait-on des particularités cardiovasculaires des reptiles et quels sont nos moyens pour en étudier les dysfonctionnements ?

Des systèmes cardiovasculaires particuliers…

            Dans son principe, le système cardiovasculaire des reptiles est semblable à celui des Mammifères. Les reptiles possèdent un cœur qui met en circulation le sang dans l’organisme. Il est composé de plusieurs cavités contractiles permettant l’éjection du sang : les oreillettes recueillent le sang veineux alors que les ventricules propulsent le sang dans les artères pour alimenter et oxygéner les organes. Chez les Mammifères, le cœur est cloisonné en deux demi-cœurs indépendants car totalement séparés l’un de l’autre par un septum interventriculaire, chacun composé d’une oreillette (encore appelée atrium) et d’un ventricule (le gauche et le droit). On différencie alors 2 boucles de circulation sanguine dans le corps :

  • La circulation pulmonaire, qui véhicule du sang non oxygéné du cœur droit vers les poumons puis vers le cœur gauche.
  • La circulation générale, qui propulse du sang oxygéné du cœur gauche dans l’aorte, puis vers tous les autres organes du corps, avant d’être drainé vers le cœur droit.

Figure 1 : Schéma de la circulation sanguine chez les Mammifères (crédit image : https://www.docteurclic.com/encyclopedie/circulation-du-sang.aspx)

bleu : sang pauvre en oxygène ; rouge : sang riche en oxygène ; flèches : sens de circulation du sang

            Chez les reptiles, la conformation du cœur est différente, ce qui engendre des flux sanguins différents de ceux des Mammifères. Et même parmi les reptiles, tous n’ont pas la même anatomie cardiaque car il en existe plus de 11000 espèces différentes !

            La première différence majeure concerne les cavités cardiaques. Si les crocodiliens (crocodiles, gavials, alligators, caïmans) ont un cœur à 4 cavités (2 oreillettes et 2 ventricules séparés) relativement semblable au nôtre et à celui des oiseaux, tous les autres reptiles (tortues, lézards, serpents) possèdent deux oreillettes mais un unique ventricule où se mélangent partiellement le sang oxygéné et le sang non oxygéné. On pourrait croire que ce système est peu efficace pour délivrer de l’oxygène aux organes mais il se révèle en réalité assez surprenant.

Figure 2 : Schémas de la conformation interne du cœur des Mammifères et oiseaux (a), des reptiles non-crocodiliens (b) et des crocodiles (c) (tiré du Anatomical Science International vol. 85, no. 4, pp. 194–203, Dec. 2010).

PA : artère pulmonaire ; RAt : oreillette droite ; LAt : atrium gauche ; RV : ventricule droit ; LV ; ventricule gauche, LA : aorte gauche ; RA : aorte droite. Les flèches montrent le sens des flux sanguins en systole.

Le sang de mélange emprunte les deux arcs aortiques (LA et RA)

            En effet, le ventricule unique des reptiles non-crocodiliens est lui-même divisé en 3 anfractuosités, plus ou moins marquées selon les espèces : le cavum venosum, le cavum arteriosum et le cavum pulmonale. Les septa qui les séparent (le septum vertical et le septum horizontal) se contractent différemment au cours du cycle cardiaque, permettant de diriger les flux sanguins au sein du cœur et d’en limiter le mélange ! Ce mécanisme est particulièrement bien développé chez les varans et les pythons, qui sont de grands prédateurs.

            Par ailleurs, malgré leur ventricule unique, les reptiles non-crocodiliens, ont bien un cœur à 4 cavités. Ils possèdent en supplément un sinus veineux (le sinus venosus) clairement individualisé, en amont de l’oreillette droite, où s’abouchent notamment leurs 3 veines caves (et, chez certaines espèces, la veine jugulaire ou la veine hépatique). Ce sinus veineux se contracte et le sang qu’il contient se déverse dans l’atrium droit avant chaque systole auriculaire.

            Pour en finir avec les différences structurelles majeures entre Mammifères et reptiles, sachez que ceux-ci ne possèdent pas une mais deux aortes ! Ces deux aortes fusionnent caudo-dorsalement pour former une unique aorte : l’aorte abdominale commune. Les crocodiliens possèdent également deux aortes, qui communiquent entre elles par un petit orifice appelé « Foramen de Panizza ». L’aorte droite émane du ventricule gauche, l’aorte gauche émane du ventricule droit.

Un cœur qui suit le rythme !

            Il faut avoir le cœur bien accroché pour vivre une vie de reptile ! Leur système cardiovasculaire présente donc de nombreuses adaptations à leur mode de vie.

            Par exemple, de nombreux reptiles sont capables de shunter la circulation du sang dans leurs poumons lors de phases d’apnée ! Les vaisseaux sanguins pulmonaires se contractent, opposant une telle résistance au passage de sang, que celui-ci ne peut qu’emprunter les deux aortes pour quitter le cœur. C’est une manière d’optimiser la perfusion de leurs organes vitaux en conditions de privation d’oxygène.

            Un autre exemple : aucun reptile ne possède de diaphragme. On ne distingue donc pas chez eux de thorax et d’abdomen, mais une unique cavité, appelée cœlome. Or cette absence de diaphragme permet au cœur des serpents d’être mobile et de se déplacer dans le cœlome sur quelques centimètres, crânialement et caudalement ! Pratique pour laisser passer des proies, parfois 4 fois plus grosses que les serpents qui les mangent.

Figure 3 : Anatomie interne d’un serpent mâle (https://fr.wikipedia.org/wiki/Serpentes)

1 : œsophage ; 2 : trachée ; 3 : poumons de la trachée ; 4 : poumon gauche vestigial ; 5 : poumon droit ; 6 : cœur ;7 : foie ; 8 : estomac ; 9 : sac aérien ; 10 : vésicule biliaire ; 11 : pancréas ; 12 : rate ; 13 : intestin ; 14 : testicules ; 15 : reins

Quels moyens pour le vétérinaire pour étudier le système cardiovasculaire des reptiles ?

            Comme pour les chiens et les chats, l’examen cardiovasculaire des reptiles débute par un examen clinique et une auscultation cardiaque au stéthoscope. Ensuite, divers examens complémentaires sont disponibles : examens radiographiques, échocardiographiques, électrocardiographiques, cœlioscopiques…

Figure 4 : Exemple de placement des électrodes pour effectuer un électrocardiogramme sur un iguane vert (Iguana iguana) (avec la permission du Journal of Exotic Pet Medecine, vol. 14, no. 1, pp. 26–33, Jan. 2005)

            Ces examens nécessitent d’établir des références pour chaque espèce correspondant à des animaux en bonne santé et placés à une température ambiante optimale. Pour cela, il faut mener des études scientifiques sur le sujet et le vaste monde des reptiles a encore beaucoup de choses à nous faire découvrir. L’échocardiographie des reptiles a ainsi fait l’objet de plusieurs études de validation et de standardisation par le Dr. Lionel Schilliger, vétérinaire spécialiste en herpétologie, et l’équipe de l’Unité de cardiologie d’Alfort du Pr. Valérie Chetboul.

En soutenant la Fondation Un Cœur, vous soutenez la recherche en cardiologie vétérinaire, notamment chez ces espèces moins bien connues que nos chiens et nos chats, et vous contribuez à améliorer leur santé. Merci de nous permettre d’en apprendre toujours plus sur ces animaux si particuliers !

Bibliographie

  1. MITCHELL M. A., “Reptile Cardiology,” Veterinary Clin. North Am. Exot. Anim. Pract.,vol. 12, no. 1, pp. 65–79, Jan. 2009.
  1. MOUMADAH Y., Anatomis, physiologie et maladies cardio-vasculares des reptiles en captivité, thèse vétérinaire, 2018.
  2. Schilliger L, Tessier D, Pouchelon J-L, Chetboul V. Proposed standardization of the two-dimensional echocardiographic examination in snakes. J Herp Med Surg. 2006;16(3):90–102.
  3. Schilliger L, Girling S. Cardiology. In: Divers S, Stahl S (eds.). Mader’s reptile and amphibian medicine and surgery. 3rd ed. St. Louis (MO): Elsevier; 2019. p. 669–698.